Il est établi de longue date que le prix d’un marché, et notamment son mode de détermination et de variation, est intangible (CE, 15 février 1957, n°14891). De nombreuses sources font encore aujourd’hui état de ce principe :
« En raison du caractère en principe intangible du prix contractualisé, une clause de révision ne peut être ni modifiée ni introduite en cours d'exécution du marché (CE 15 février 1957, Etablissement Dickson) si le contrat n'en a pas expressément prévu la possibilité et les modalités par une clause de réexamen (article R. 2194-1 et 1° de l'article R. 2194-6 du code de la commande publique), même si cette clause était obligatoire en application de l'article R. 2112-13 du code de la commande publique » (Question n°40503 publiée au JO le 03/08/2021, Réponse publiée au JO le 26/10/2021)
« 2. Considérant qu’une formule de révision doit être appliquée strictement dans les termes mêmes où elle a été stipulée sans que l’administration ni le titulaire du marché puisse en contester l’application ou en réclamer la modification sauf erreur matérielle dont la partie cocontractante ne peut se prévaloir de bonne foi ; » (TA Versailles, 28 mars 2013, n°0904049).
Cette intangibilité s’explique par le fait qu’une telle modification a une incidence sur les conditions de la mise en concurrence initiale, rentrant alors dans la qualification de modification substantielle du marché, prohibée par les articles L. 2194-1 et R. 2194-7 du Code de la commande publique :
« Le marché peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence lorsque les modifications, quel que soit leur montant, ne sont pas substantielles.
Pour l'application de l'article L. 2194-1, une modification est substantielle, notamment, lorsque au moins une des conditions suivantes est remplie :
1° Elle introduit des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage d'opérateurs économiques ou permis l'admission d'autres opérateurs économiques ou permis le choix d'une offre autre que celle retenue ; »
« Le prix contractualisé est intangible, ainsi que les conditions de son évolution prévues à la signature du contrat, et aucune des parties au contrat ne peut les modifier (articles 17 et 197 du code des marchés publics). La forme et le régime des prix jouent un rôle déterminant dans l'établissement des offres et dans la concurrence entre entreprises. Ils doivent donc être connus des candidats potentiels, dès la mise en concurrence. Un avenant qui insère ou modifie une clause de révision, une formule ou des index est illégal, car il a nécessairement pour effet de modifier les conditions de la mise en concurrence initiale » (Question écrite avec réponse, n°49419, 11 février 2014).
Récemment, le Conseil d’Etat et certaines Cours administratives d’appel ont temporisé ce principe. En 2017, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas d’obstacle de principe à ce que les parties d’un marché conclu à prix révisable puissent convenir, par avenant, de modifier le mécanisme d’évolution du prix définitif pour passer d’un prix révisable à un prix ferme, en particulier lorsque l’exécution du marché approche de son terme (CE, 20 décembre 2017, Société Area Impianti, n°408562). Le Conseil d’Etat poursuit :
« 4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 19 du même code dans sa version alors applicable : " Sauf sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties, un avenant ne peut bouleverser l'économie du marché, ni en changer l'objet " ; que ces dispositions ont pour effet de faire obstacle à ce que les parties puissent apporter aux stipulations d'un marché public pendant la durée de sa validité des modifications d'une ampleur telle qu'il devrait être regardé comme un nouveau marché ; que la cour a pu, sans erreur de droit, considérer que la modification des règles de détermination du prix initial ne constituait pas, par elle-même, un bouleversement de l'économie du marché ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, non contestées sur ce point, que le troisième avenant a modifié le mécanisme de fixation des prix du marché, en fin d'exécution de celui-ci, dans un sens désavantageux à son titulaire ; que la cour, qui s'est livrée à une appréciation souveraine des clauses du contrat, exempte de dénaturation, n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que la suppression de la clause relative à la révision des prix ne pouvait, eu égard à sa nature et à ses effets, être regardée comme ayant bouleversé l'économie générale du marché ; » (CE, 20 décembre 2017, n°408562).
La Cour administrative d’appel de Douai a également eu à juger un litige relatif à une modification de structure d’un index. Dans cette affaire, le marché était conclu à prix révisable, et l’index de référence était le TP 09. En cours de contrat, l’INSEE a modifié la composition de l’index national des travaux publics TP 09. Cet index a été modifié dans sa structure, et a été utilisé par le pouvoir adjudicateur dans l’application de la révision du prix. La société requérante soutenait que ce nouvel indice était substantiellement différent de celui que les parties avaient choisi, et qu’elle subissait un préjudice correspondant à la différence entre la révision des prix du marché telle qu’elle aurait résulté de l’application de l’indice TP 09 dans sa structure initialement en vigueur et celle de l’application de cet indice dans sa nouvelle structure. La Cour a considéré que :
« 5. D'une part, en l'absence de précision relative au contenu même du calcul de l'index de référence choisi et à sa composition dans les stipulations précitées du cahier des clauses administratives particulières, la commune intention des parties ne peut être regardée comme ayant été d'exclure l'application d'un nouvel index TP 09 en cas de modification des pondérations de ses composantes en cours de contrat ou de sa disparition. Il est constant qu'aucun avenant n'a par ailleurs été conclu pour déroger aux stipulations de l'article 3.4.4 du CCAP précité. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les parties aient entendu, même tacitement, modifier la clause de révision des prix telle qu'initialement fixée à la suite de la publication de l'avis INSEE. Par suite, la société Le Foll TP, qui n'a en outre pas discuté, avant sa réclamation, des modalités de révision des prix applicables lors de la notification des divers bons de commandes, n'est pas fondée à soutenir que le département de l'Eure a méconnu la commune intention des parties. » (CAA Douai, 26 avril 2022, n°20DA01405).
Si une partie de la doctrine a vu, dans ces deux décisions, une remise en cause du caractère intangible du prix dans un marché public, nous avons un avis plus mitigé et appelons à la prudence dans la lecture de ces décisions. Nous pensons que la décision de la Cour administrative d’appel de Douai ne se prononce pas sur la question, puisqu’elle indique simplement que les parties n’ont pas entendu modifier la clause de révision des prix telle qu’initialement fixée. Ainsi, elle ne se prononce pas sur la légalité d’une telle modification, puisque celle-ci n’existe pas.
S’agissant de la décision précitée du Conseil d’Etat du 20 décembre 2017, il est vrai que celle-ci est rédigée en des termes plus généraux, qui laissent à penser que la voie s’ouvrira peu à peu vers des possibles modifications du mode de détermination et de variation du prix en cours de marché. Il est vrai aussi qu’il serait difficilement compréhensible que le Conseil d’Etat autorise le passage de prix révisables à prix fermes en cours de marché, et n’autorise pas le passage de prix fermes à prix révisables en cours d’exécution du marché. Cela étant, le Conseil d’Etat précise également qu’il n’y voit aucun obstacle, « en particulier lorsque l’exécution du marché approche de son terme ».
La fiche de la DAJ du 18 février 2022 relative aux marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières rappelle le caractère intangible du prix en ces termes :
« Le prix contractualisé est intangible, ainsi que les conditions de son évolution prévues à la signature du contrat. Le prix et ses conditions d’évolution sont des éléments essentiels du marché qui ne peuvent évoluer en cours d’exécution, sauf clause de révision ou clause de réexamen. Ils sont aussi un élément essentiel de la détermination des offres remises par les candidats au stade de la passation du marché. Ainsi, en l’absence de clause de révision de prix ou de réexamen, une modification du prix porterait atteinte aux conditions de la mise en concurrence initiale (CE, 15 février 1957, Etablissement Dickson). La clause de révision de prix ne peut donc être ni modifiée, ni introduite en cours d’exécution du marché même si celle-ci était obligatoire. »
La circulaire n°6338/SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières traite de la modification des contrats en cours d’exécution. Le point n°1 indique :
« La pénurie des matières premières et la hausse des prix des approvisionnements sont susceptibles d'avoir des conséquences sur les conditions techniques d'exécution des contrats. Elles peuvent notamment rendre nécessaire une modification de leurs spécifications, par exemple en substituant un matériau à celui initialement prévu et devenu introuvable ou trop cher, en modifiant les quantités ou le périmètre des prestations à fournir, ou en aménageant les conditions et délais de réalisation des prestations pour pallier les difficultés provoquées par cette situation. Dans ces hypothèses, il est possible de recourir aux différents cas de modification des contrats en cours d'exécution prévus par le code de la commande publique, notamment par ses articles R. 2194-5 et R. 3135-5 qui, dès lors que ces modifications sont rendues nécessaires par des circonstances qu'une autorité contractante diligente ne pouvait pas prévoir lorsque le contrat a été passé, autorisent des modifications du contrat (…)
En revanche, l'acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d'avenant les clauses fixant le prix lorsque cette modification du prix n'est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d'exécution du contrat. »
Au vu de ces débats non aboutis et des circonstances économiques actuelles, il semblerait que la DAJ souhaite saisir le Conseil d’Etat aux fins d’avoir un avis officiel sur la possibilité de modifier le prix d’un marché public en cours d’exécution. Toutefois, nous ne savons pas si cette saisine a déjà été effectuée car l’annonce d’une telle saisine est très récente.
Il apparaît donc que l’insertion d’une clause de révision de prix dans un marché en cours d’exécution qui n’en contenait pas, est risquée. Il y a actuellement un débat sur cette possibilité, qui n’est pas encore abouti. La position de la DAJ étant rigide, et les quelques entorses faites au principe d’intangibilité des prix étant casuistiques, nous ne pouvons pas affirmer que l’insertion d’une clause de révision de prix dans un marché en cours d’exécution est légale, ou à tout le moins juridiquement tolérée à ce jour.
L’autre possibilité pour le titulaire, et notamment en l’absence de clause de révision des prix dans le marché, est d’invoquer que les hausses actuelles des prix constituent un évènement imprévu justifiant soit la modification du contrat, soit l’application de la théorie de l’imprévision.
L’article R. 2194-5 du Code de la commande publique permet la modification du marché lorsque celle-ci est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir. Cette modification ne peut être supérieure à 50% du montant du marché initial. Toutefois, au sujet de la mobilisation de cette clause, la circulaire du 30 mars 2022 indique qu’elle ne doit pas être utilisée lorsque la modification du prix « n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat ».
Il nous semble donc qu’il n’est pas possible d’utiliser cette clause, sauf si la modification du prix est liée à une modification de périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat.
La théorie de l’imprévision, applicable aux contrats administratifs, est quant à elle désormais codifiée à l’article 6 du Code de la commande publique « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l'exécution, a droit à une indemnité ».
Si ces trois conditions sont réunies, le cocontractant pourra avoir droit à une indemnité. Il ne sera toutefois pas possible d’intégrer une clause de révision de prix comme précédemment indiqué. Cette solution s’apparente à une indemnisation, pour compenser la perte subie par le titulaire du marché au vu de l’augmentation des prix.
En matière de contrats de droit privé, le pendant de la théorie de l’imprévision est l’article 1195 du Code civil, qui permet une renégociation du contrat si un changement de circonstances imprévisible survient, rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse, pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. Le contrat pourra, dès lors, être renégocié, sans qu’il soit possible, ici non plus, d’insérer une clause de révision de prix.
La doctrine conseille de quantifier financièrement et en pourcentage les surcoûts qui pèsent sur le contrat afin de déterminer une indemnisation pouvant compenser ces surcoûts. Il faut garder à l’esprit que de tels surcoûts doivent être justifiés par l’entrepreneur qui demande la renégociation.
Dans les prochains jours, le Conseil d’Etat, saisi par la DAJ de Bercy rendra donc un avis particulièrement attendu sur la révision des prix.